lundi 10 octobre 2016

Poème d'amour (Roque Dalton)

L'Humanité est un concept pour onanistes
Roque Dalton (Taberna y otros lugares. 1967)

Poème d'amour
Roque en 1963

Ceux qui ont agrandi le Canal de Panama
(À qui on a donné le "silver roll" et surtout pas le "gold roll")
Ceux qui ont réarmé la flotte du Pacifique
dans les arsenaux de Californie.
Ceux qui ont moisi dans les prisons du Guatemala,
du Mexique, du Honduras, du Nicaragua
comme voleurs, contrebandiers, escrocs,
crèves-la-faim.
("Je me permets de vous renvoyer le corps de cet individu
qui n'est qu'un vagabond suspect
aggravé du fait d'être un Salvadorien").
Celles qui ont peuplé les bars, les bordels
de tous les ports et capitales de la zone
("la Grotte bleue", "La Petite culotte" "Le Happyland")
Les semeurs de maïs en jungle étrangère,
les rois des faits divers,
ceux dont personne ne sait jamais d'où ils viennent,
les meilleurs artisans du monde,
criblés de balles en passant les frontières.
Qui sont mort de paludisme,
de piqûres de scorpions, de serpents,
dans l'enfer des bananeraies.
Ceux qui ont pleuré, ivres, à l'hymne national
sous les cyclones du Pacifique ou les neiges du Nord,
les abandonnés, les mendiants, les défoncés à la marijuana, 
les Guanacos*, fils de la Grande pute.
Ceux qui sont revenus de justesse.
Ceux qui ont eu un peu de chance.
Les éternels sans-papiers,
bons à tout faire, tout vendre, tout manger.
Les premiers à sortir la lame, 
les tristes les plus tristes du monde,
mes compatriotes,
mes frères.

Extrait du texte "La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens et la politique est la quintessence de l'économie" in Les histoires interdites du Petit Poucet.  
Traduction maison.

Quasiment inconnu en France, Roque Antonio Dalton** Garcia (1935-1975), poète et combattant, est l'objet d'un culte en Amérique Centrale. Il réunit la puissance du poète, l'éthique du révolutionnaire, le talent de l'humoriste, une solide réputation d'amoureux et une des morts les plus tragiques de la guerre civile salvadorienne. Ayant échappé par deux fois à la peine capitale (dont par une évasion due à un séisme), à une truie en fureur et à quelques maris jaloux, il finira fusillé par ses propres camarades le 10 mai 1975, dans la plus pure tradition des purges staliniennes. Il a été réhabilité par les mêmes quelques années plus tard. Lui qui "faisait rire les pierres" aurait certainement goûté l'ironie du sort !  


 
Cette chanson n'est pas l'hommage d'un groupe madrilène : Tio Manuel (Manuel Castillo) est l'ex guitariste des groupes parisiens Spoons, Wunderbach, Catch 22, les Outsiders et, occasionnellement la Souris Déglinguée.

* Les Salvadoriens sont "Guanacos", au même titre que les Guatémaltèques sont "Chapines" ou les Costa-ricains "Ticos".

** Il affirmait sans rire descendre d'un des frères Dalton. Bob, Grat, Bill et Emett formaient le gang Dalton, décimé à Cofeyville en 1892, qui servira de modèle à Morris.  

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